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Le Moi animal
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26 janvier 2012

Les couleurs de l'oubli

 

Nous avons l’art disait Nietzsche pour éviter que la vérité ne nous détruise. Mais quelle vérité ?

La vérité du regard qui se voile, la vérité de l’oubli, la vérité du geste qui hésite, de l’absence ?

Nous avons l’art pour éviter que l’illusion des apparences ne nous détruise. Ne vous

détruise. Ne détruise notre commune humanité, en traçant, entre vous et nous, entre toi et

moi, une distance qui repousse dans l’ombre, l’abandon et l’exclusion, ceux à qui nous ne

disons pas Tu parce que nous croyons qu’ils ont perdu la capacité de dire Je, et de se vivre.

Le pari sur la personne fait apparaître la personne. La certitude froide de l’observation la

fait disparaître. Sans le dialogue avec une mère, aucun enfant ne parlerait. Sans la parole

et la peinture et le pinceau et le temps donné, aucun de ces éclats de couleurs ne serait

devant nos yeux.

Le silence appelle le silence. La distance, la distance. L’indifférence, l’indifférence.

Ces tableaux racontent l’histoire d’une relation. Cristallisée dans la lumière. Hors du temps.

 Jean Claude Ameisen et François Arnold

 

Juliette

Juliette, malgré son grand âge, était restée une petite fille romantique,

enfoncée dans un fauteuil roulant trop grand pour elle.

La première fois qu’elle me vit, sachant que nous allions peindre

ensemble, elle me demanda :

Qu’est-ce que vous allez me dessiner ?

Cela dépend de votre envie. Mais ce n’est pas moi qui peins, c’est vous.

Elle ne m’a pas demandé de lui dessiner un mouton, comme l’avait

fait le petit prince, mais « un cheval qui galope, crinière au vent ! »

Et après le cheval, elle désira un prince le chevauchant, puis un

château dans lequel une très belle princesse était tenue prisonnière…

À chaque atelier, l’histoire se poursuivait pleine d’imprévus et de

rebondissements.

Mais Juliette tenait toujours à commencer avec « le cheval à la

crinière et la queue flottant au vent... » et à chaque fois, elle

précisait « légères, légères… ».

Ainsi s’écoulèrent les semaines et passèrent les mois. « Et si de

votre belle histoire, on faisait une bande dessinée ? » lui proposai-je

un jour. « Vous croyez ? » dit-elle avec un grand sourire.

« Pourquoi pas ? »

La fois suivante, elle avait tout oublié de ma proposition… Pour

la stimuler, je lui renouvelai ma suggestion :

Alors notre cheval… ?

Non, aujourd’hui je voudrais des fleurs, mais légères, légères…

La semaine suivante, Juliette n’était plus là… « Elle nous a

quittés » me dirent les soignantes encore émues.

Elle était partie légère, légère comme ces fleurs qu’elle m’avait

laissées.

 

 http://www.editionsatelier.com/ressources/10161/86/6239.pdf

 

Anarchie_cheval_noir

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